[Critique série] FLAKED – Saison 1
Titre original : Flaked
Rating:
Origine : États-Unis
Créateurs : Will Arnett, Mark Chappell
Réalisateur : Wally Pfister, Josh Gordon, Will Speck, Tom DiCillo.
Distribution : Will Arnett, David Sullivan, Ruth Kearney, Lina Esco, Christopher Mintz-Plasse, Kirstie Alley, Heather Graham, Annabeth Gish, Mark Boone Junior…
Genre : Drame/Comédie
Diffusion en France : Netflix
Nombre d’épisodes : 8
Le Pitch :
Chip, un ancien alcoolique, règne sur Venice tel un grand sage, auprès duquel tout le monde vient chercher conseil. Lors des réunions des Alcooliques Anonymes notamment où il dispense de précieux préceptes d’après sa propre expérience, ou au détour de son magasin de meubles, où se bousculent ses connaissances mais pas les clients. Pourtant, Chip a aussi ses propres problèmes. Pas vraiment aussi philanthrope qu’il veut bien le laisser croire, il se démène toujours avec ses démons et une vie sentimentale plutôt chaotique. L’arrivée dans sa vie de la belle London ne va pas arranger les choses…
La Critique :
En français, flaked signifie émietté, soit la situation dans laquelle se trouve Chip, le personnage principal, quand nous faisons sa connaissance. Un type plutôt avenant, à la voix grave et au look décontracté, sur qui se focalise l’attention de tous. Un alcoolique repenti friand de demi-vérités et de mensonges de toutes sortes, un peu profiteur, et finalement très doué pour se faire passer pour ce qu’il n’est pas…
Sortie de l’imagination de Will Arnett, qui tient aussi le rôle central, cette production Netflix est aussi le fruit de la rencontre de ce dernier avec le producteur Mitchell Hurwitz sur la série Arrested Development. Hurwitz qui décida d’appuyer le projet de son acteur, afin qu’il parvienne à monter son propre show. À priori, les fans (nombreux) d’Arrested Development devraient plus ou moins trouver leurs marques rapidement dans le petit monde de Chip, cet espèce de gourou autoproclamé régnant sur le quartier de Venice à Los Angeles. Cela dit, force est de reconnaître que la série met du temps à s’installer. Cette première saison, qui ne compte pourtant que huit épisodes, prend le temps de poser son décors et de présenter ses personnages, sans se presser et surtout sans avoir l’air de vouloir raconter quelque chose de particulier. Une tendance déjà visible dans certaines productions cinématographiques plus ou moins indépendantes, mais relativement inédite à la télé, tant le format, à cause notamment de sa longueur, appelle un rythme bien particulier. Ici, chaque épisode dure à peu près 30 minutes. Il ne s’agit pas d’une sitcom. Ce n’est pas un drame appuyé non plus. Ni une comédie franche et loufoque. Flaked évolue, on le comprend assez vite, dans sa propre sphère, sans chercher à raccrocher les wagons avec qui que ce soit.
En fait, on peut même affirmer que la série ressemble à son personnage principal. Elle a de la gueule, présente bien, mais laisse planer le doute quant à ses véritables intentions.
Pour autant, dès que les choses se mettent en place, avec la présentation de plusieurs arcs narratifs convergeant vers Will Arnett, Flaked parvient à prouver que sa démarche possède un sens véritable et plutôt profond. Sans s’avérer plombante de quelque façon que ce soit, l’histoire aborde des thématiques douloureuses, mais sait aussi, à l’image de son générique, faire preuve d’une belle et salvatrice légèreté. Et comme souvent, ce sont les personnages secondaires qui aident à diluer quelque peu la tension. Comme ce gentil hippie sur le retour un peu frappadingue et attachant, presque à lui seul le garant d’un comique de situation lorgnant sur le vaudeville. Les autres, pour leur part, sont dédiés à la construction d’un récit plus ambitieux qu’il n’y paraît, et qui s’articule en permanence autour de la notion d’addiction à l’alcool, mais aussi à l’amour et peut-être même davantage à l’attention que recherchent les uns et les autres pour exister au sein de la communauté. En particulier, Chip, soit celui qui domine la distribution, tout en amorçant en permanence un échange avec les autres intervenants.
Il est intéressant de souligner l’implication dans la série de deux réalisateurs bien connus des cinéphiles. Le premier Wally Pfister, surprend par sa seule présence, lui qui reste populaire pour avoir emballé le très moyen film de science-fiction Transcendance, mais surtout pour avoir officié au poste de directeur de la photographie sur beaucoup de longs-métrages de Christopher Nolan, comme la trilogie The Dark Knight. Loin de sa zone de confort, le cinéaste fait un boulot remarquable sur nombre d’épisodes, en cela qu’il se met, discrètement mais sûrement, au service du récit. Tom DiCillo, l’autre metteur en scène « star » de Flaked, est pour sa part plus à sa place (au premier abord), dans un registre proche de ses précédents faits d’armes comme Box of Moonlight ou Delirious. On peut même carrément pousser le rapprochement un peu plus loin en faisant le trait d’union avec When You’re Strange, l’excellent documentaire que DiCillo réalisa en 2008, sur Jim Morrison, le chanteur de The Doors, un groupe qui, on le rappelle est justement né à Venice, où se déroule l’action de Flaked.
Venice qui tient une place centrale. À ce stade, il convient carrément de parler de personnage à part entière tant le lieu, son ambiance, son climat, ses parfums et ses couleurs contribuent à la construction d’une ambiance marquée, dont l’influence se fait sans cesse sentir sur les habitants, Chip et ses amis en tête.
Si Flaked brille donc par sa mise en scène, discrète, pertinente et proche de ses personnages, c’est néanmoins son écriture qui lui permet de se démarquer de la concurrence. Douce-amère, celle-ci s’applique à retranscrire avec une application et une sensibilité remarquables des émotions difficilement saisissables. Des émotions que l’on peut certes qualifier d’attendues dans un divertissement du genre, mais entrevues par le biais de personnages attachants et non manichéens. Pour résumer, on peut dire que Flaked en dit beaucoup sans avoir l’air de le faire. Sa trame ne surprend pas sur le fond mais grâce à sa forme. Et si elle pédale un peu dans son premier quart, elle sait ensuite passionner, stimuler et installer une sorte de suspens très bien mené, jusqu’au dernier épisode.
Les comédiens ne sont forcément pas étrangers à la réussite globale de l’ensemble. Will Arnett en premier lieu, et qui joue d’ailleurs gros, impose un charisme un peu désuet, parfaitement raccord avec son personnage. Parfois irritant, parfois attachant, drôle, séduisant, il domine une distribution aux petits oignons, avec un David Sullivan parfait de justesse et une Ruth Kearney aussi séduisante que pertinente dans sa façon de distiller une fragilité matinée de mystère des plus intéressantes. Le fait que des têtes, disons plus connues, comme Mark Boone Junior (Sons of Anarchy), Heather Graham (Boogie Nights, Austin Powers 2) et Christopher Mintz-Plasse (Supergrave, Kick-Ass) soient aussi de la partie, conférant également à Flaked un surplus plutôt sympathique de prestige.
Fraîchement accueillie par une certaine critique qui visiblement n’a pas goûté au caractère moins évident qu’à l’accoutumé de son discours, Flaked n’est pas une série accessible au plus grand nombre, mais sait pourtant aller jusqu’au bout de ses intentions sans dévier de sa route. En gros, quand on aime, on aime de plus en plus au fil des épisodes, ne cessant de réévaluer à la hausse ce qui, au départ, se présentait tout compte fait comme une énième série dramatico-sentimentale comme on en voit tant.
@ Gilles Rolland