[Critique] GRAN TORINO

STARVIDEOCLUB | 19 janvier 2014 | Aucun commentaire
Gran-torino-affiche

Titre original : Gran Torino

Rating: ★★★★★
Origine : États-Unis
Réalisateur : Clint Eastwood
Distribution : Clint Eastwood, Bee Vang, Ahney Her, Geraldine Hughes, John Carroll Lynch, Dreama Walker, Doua Moua, Brian Howe, Christopher Carley…
Genre : Drame
Date de sortie : 25 février 2009

Le Pitch :
Vétéran de la Guerre de Corée, Walt Kowalski vit replié sur lui-même après le décès de sa femme. Seul avec son chien, il passe ses journées assis sur le perron de sa maison, en se désolant de ce qu’est devenu son quartier. Son ressentiment est particulièrement dirigé sur les nombreux immigrants et sur les gangs qui peu à peu font pression sur les habitants, par l’intimidation et la violence. Une nuit, il surprend son jeune voisin, un adolescent hmong, en train de tenter de lui voler sa voiture, une magnifique Gran Torino, à laquelle tient énormément Walt. Plus tard, Walt intervient et met fin à une querelle entre ce même adolescent et son cousin, un caïd du coin qui cherche à l’embrigader. Une intervention qui fait de Walt le héros de quartier. Un nouveau statut dont il se serait bien passé mais qui peu à peu, va contribuer à l’ouvrir aux autres et ainsi peut-être à dépasser ses aprioris…

La Critique :
La rumeur concernant le possible retour de L’Inspecteur Harry au cinéma débuta par une lettre reçue par le site américain Ain’t it cool news. Une lettre expliquant que l’équipe du prochain film de Clint Eatwood recherchait activement une Gran Torino de 1972. Un début de script avait même commencé à circuler faisant état d’une enquête qui conduirait Harry sur les traces de l’assassin de son petit fils. Un meurtrier dont le seul élément connu demeurait sa voiture, à savoir une Gran Torino. Une rumeur rapidement démentie par le principal intéressé qui, alors âgé de 78 ans, mit les choses au clair en excluant un retour de l’inspecteur le plus badass du cinéma américain.
La Ford Gran Torino, la même que Starsky, aurait ainsi une tout autre utilité. Elle serait un vestige d’une vie passée à trimer dans les usines d’assemblage à l’époque où le Nord-est des États-Unis régnait sur le monde de l’automobile. Avant que les villes ouvrières ne se vident en masse et avant que Walt Kowalski, cet ouvrier vaillant, ancien soldat pendant la Guerre de Corée, devienne veuf et salement acariâtre. Avant que sa femme ne meure donc et que ses deux fils ne voient en lui qu’un vieil emmerdeur, tout juste capable de faire preuve de gentillesse et d’attention envers son brave labrador, seul compagnon de son errance dans un monde qu’il ne reconnaît plus.

Le Eastwood de Gran Torino et sa voiture de collection, jalousement gardée dans son garage, représentent à eux-seuls le grand bouleversement qui secoua la classe ouvrière dans les années 50, enclenchant du même coup un processus qui mena à la mise en faillite de la ville de Detroit toute entière qui aujourd’hui ressemble par endroit à une cité fantôme. Vivant à Highland Park, une banlieue proche de Detroit, Walt est le témoin privilégié d’une situation qu’il ne supporte plus. Les gens changent. Ses amis s’éteignent les uns après les autres, laissant derrière eux des maisons qui se laissent à leur tour mourir sous l’influence du temps et des éléments, et de nouveaux venus donnent un visage différent à un panorama en pleine évolution. Pour quelqu’un comme Kowalski, qui vit plus ou moins dans le regret d’un glorieux passé, où il était bon de témoigner son patriotisme en dressant devant chez soi une bannière étoilée, ce changement n’a rien de bon. Son expérience au front, pendant la Guerre de Corée, l’a traumatisé et a un peu plus motivé une haine virulente à l’encontre des étrangers. Des étrangers qu’il met tous dans le même sac et qu’il traite avec un dédain clairement affiché, tout en prenant soin de garder son fusil à porté de main, juste au cas où les choses dérapent.
Raciste, le personnage principal de Gran Torino l’est assurément. Le film débute alors qu’il vient de perdre son seul amour. Sa famille se désintéresse de lui (mais pas de ses biens) et ses seuls amis sont ceux avec qui il peut aller picoler au bar du coin (sans oublier son coiffeur). La solitude est mise en avant comme facteur aggravant pour les ressentiments et la haine.
Une haine qui peut enfin sortir quand un gang hmonh s’en prend à son petit voisin, que Walt déteste tout autant, ne serait-ce qu’à cause de ses origines ethniques. Un voisin qui a d’ailleurs tenté de lui voler sa Gran Torino, ce qui n’a fait que confirmer à quel point ces gens n’étaient bons qu’à flouer les honnêtes américains. Quand il sort de chez lui, carabine au poing, pour restaurer le calme, Walt ne cherche qu’à protéger ses biens. À la place, il devient une sorte de héros, recevant tous les jours des offrandes devant sa porte, de la part des familles hmong des alentours.
C’est le point de départ d’un changement important. Malgré les insultes sans équivoques lancées à l’encontre de ces étrangers, Walt découvre un sens du respect et une reconnaissance chez ces derniers, qu’il ne soupçonnait pas ou plutôt qu’il s’interdisait d’envisager. Les hmong vont au-delà des quolibets et cherchent sans le vouloir à se faire accepter par Walt.
Le film souligne alors avec une pertinence incroyable que c’est le manque de connaissance qui motive très souvent le racisme et le rejet à l’encontre des étrangers. En sa qualité de vétéran de la Guerre de Corée, Walt s’est enfermé dans un personnage raciste, témoin des horreurs perpétrées par un peuple adverse responsable sur le champs de bataille de la mort de ses amis. Ses voisins, par leurs actes pleins de générosité, lui montrent que la Guerre est finie. Le cœur de Walt s’ouvre et s’apaise, chassant les idées inhérentes au racisme pour laisser la place à un amour qu’il ne demandait finalement qu’à donner, lui qui jusqu’alors n’avait que son vieux chien pour compagnon.
La présence, dans la maison d’à côté, de cette vieille hmong, acariâtre elle-aussi et méfiante envers Walt, est d’ailleurs remarquablement bien vue, car elle met le héros face à lui-même. Tous les deux sont vieux et on peut imaginer que tous les deux ont vu les mêmes atrocités provoquées par la guerre. Ils sont donc dans la même position et peuvent témoigner de concert, de l’espoir porté par la nouvelle génération, beaucoup plus ouverte à la mixité raciale, comme source de richesse humaine et culturelle.

On a dans un premier temps pensé que Gran Torino cachait le retour de L’Inspecteur Harry Callahan. Un personnage emblématique dans la filmographie d’Eastwood qui a contribué à faire de lui une star planétaire. Un Inspecteur également responsable d’une polémique visant les punchlines et le comportement ambivalent du personnage lors de ses investigations. Les méthodes expéditives d’Harry lui attirèrent les foudres d’une opposition qui jugea le film profondément immoral et raciste.
Faisant partie de la première vague de ces justiciers hardcore, Harry Callahan essuie les plâtres, notamment à cause du succès du long-métrage qui entrainera de nombreuses suites où le caractère du personnage sera d’ailleurs un poil plus consensuel, s’adaptant aux changements d’époques.
Rappelons aussi que Clint Eastwood a toujours été un fervent républicain. Un parti pris politique qui n’a fait que confirmer le discours extrémiste que certains ont pris au premier degré dans L’Inspecteur Harry.
Walt Kowalski pourrait être Harry Callahan. Désormais septuagénaire, il constate que les efforts pour préserver une certaine idée de son pays ont échoué. Opposé au changement, il s’ouvre peu à peu et voit ce qu’il y a du bon à ouvrir sa porte à ses voisins, peu importe leur couleur de peau. Il se rend compte que le fait d’être bon ou mauvais n’a rien à voir avec les origines. Eastwood ne fait pas de politique, du moins pas directement, dans Gran Torino. Il dresse un portrait d’une Amérique changeante et incarne une vieille école qui a tout à gagner dans l’acceptation et la tolérance. L’acteur réalisateur de son côté, regarde dans le rétro d’une incroyable carrière et livre un film bouleversant. Un film somme à la fois triste, pertinent, palpitant et drôle (« Il ne vous est jamais arrivé de tomber sur un mec qui fallait pas faire chier ? C’est moi »). Un humour typique de Clint, qui évoque ses personnages les plus emblématiques. On pense entre autres choses à ces grognements sourds, couplés à un renfrognement, qui vont petit à petit laisser la place à un sourire. Un peu comme si le Clint de L’Inspecteur Harry rencontrait celui de La Route de Madison. On découvre alors à nouveau un homme en phase avec son époque. Une légende humble mais consciente de l’héritage qu’il porte. Un homme bel et bien vivant qui réalise l’un de ses meilleurs films et qui du même coup, cette fois-ci devant la caméra, campe un personnage complexe, sombre et tout bonnement bouleversant.

Grand Torino donne maintes occasions de sortir les mouchoirs. Jusqu’au générique de fin (interprété par Eastwood et Jamie Cullum), qui achève littéralement de rendre profondément attachante et déchirante cette histoire aux accents universels. Il recèle de véritables morceaux de bravoure et charrie un état d’esprit noble et non manichéen. Le cynisme n’a pas sa place à bord de la Gran Torino, pas plus que les idées reçues. À son bord, Clint revisite sa carrière. Il parle de son pays, qu’il aime tant, de son art et de sa légende. Autant dire qu’on a affaire à un pur chef-d’œuvre.

@ Gilles Rolland

gran-torino-clint-eastwoodCrédits photos : Warner Bros. France

Par Gilles Rolland le 19 janvier 2014

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