[Critique] UNDER THE SILVER LAKE

CRITIQUES | 13 août 2018 | Aucun commentaire
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Titre original : Under The Silver Lake

Rating: ★★★★★
Origine : États-Unis
Réalisateur : David Robert Mitchell
Distribution : Andrew Garfield, Riley Keough, Topher Grace, Callie Fernandez, Don McManus, Jeremy Bobb, Riki Lindhome, Zosia Mametn, Patrick Fischler, Jimmi Simpson, Grace Van Patten…
Genre : Thriller
Date de sortie : 8 août 2018

Le Pitch :
À Los Angeles, Sam, un trentenaire un peu blasé, semble errer sans but particulier au fil d’un quotidien qui le mène de soirées arrosées en rencontres plus ou moins fortuites. Un soir, il croise Sarah, sa nouvelle voisine. D’emblée, il tombe sous le charme de cette réincarnation de Marilyn Monroe. Le lendemain, la jeune femme a disparu. Son appartement est vide. Ne subsistent que quelques indices qui vont motiver Sam à tenter de la retrouver. Commence alors une virée tout aussi perturbante qu’absurde dans les abysses de la Cité des Anges…

La Critique de Under The Silver Lake :

Fortement remarqué avec le tétanisant et effrayant It Follows, qui rendait hommage d’une certaine façon à des maîtres comme John Carpenter, David Robert Mitchell cite à l’occasion de son nouveau film certains cadors du film noir. Du film noir mais aussi de la littérature policière. Celle des privés solitaires impliqués dans de tortueuses enquêtes traversées d’obscurs personnages alors qu’en fond sonore une musique au diapason en souligne les contours. David Robert Mitchell qui surfe aussi sur un grand nombre de références issues de la pop culture pour au final livrer une œuvre ultra dense et fascinante. D’une manière tellement poussée qu’une seule vision semble insuffisante pour saisir toutes les implications, détails et autres velléités qui en composent la structure…

Sous la surface…

Le titre du film à lui seul est une sorte de poésie en forme d’énigme, destinée à introduire un récit plein de lyrisme, d’excès, d’éclairs absurdes et de fulgurances inouïes et parfois joyeusement illogiques dont le personnage principal n’est autre que Los Angeles, cette cité bâtie sur des rêves, qu’ils soit brisés ou accomplis. Le personnage principal, Sam, un homme désœuvré, que l’attirance pour une jeune nymphe disparue pousse dans une direction pour le moins inattendue, renvoit sur bien des aspects aux fantasmes dont Los Angeles est la source. De fêtes en discutions parfois un peu opaques, de situations ubuesques en prises de conscience brutales, de charges violentes en instants de flottement, entre jouissance et souffrance, Sam est le parfait pivot d’une métropole ici exposée dans toute sa complexité. L’appel à l’hédonisme faisant opposition à cette prise de conscience indispensable pour quiconque ne veut pas se noyer… sous la surface. Sous le lac argenté.

Coup de maître

Under The Silver Lake est un film assez unique en cela qu’il emprunte de très nombreuses références, à la musique, au cinéma, au jeu-vidéo, ou à la littérature, mais trouve quand même le moyen, et ce très rapidement, de se construire une authentique singularité pour au final ne ressembler qu’à lui même. David Robert Mitchell, également au scénario, se sert de ces références comme des appuis pour progresser, mais jamais comme des piliers. Under The Silver Lake ne s’écroule pas dès lors qu’on enlève les clins d’œil et tous les éléments propres à la pop culture. Il ne perd pas de sa puissance si on ne capte pas toutes les subtilités des références. On peut en savourer la moindre parcelle sans avoir jamais lu un seul livre de Raymond Chandler ou vu un seul Hitchcock. Des références directement citées, au travers d’extraits de films par exemple, ou alors plus subtiles, qui servent juste, un peu comme avec La La Land, à ancrer l’histoire dans un décors où elles sont indispensables mais finalement pas tant que cela. Que ce soient tous ces films, toutes ces chansons et toutes ces créatures qui constituent la mythologie du lieu. Des entités que David Robert Mitchell prend aussi d’ailleurs parfois plaisir à malmener, s’adressant ainsi aux spectateurs de sa génération, de celle de son protagoniste principal et aussi plus globalement à tous ceux qui ont grandi avec.
Under The Silver Lake est ainsi un pur film de L.A.. Le film de L.A., qui, comme le film de New York, est presque un genre à part entière. Venimeux, dégageant une puissante odeur de souffre, parfois franchement flippant, d’autres fois très drôle, il contient des séquences s’inscrivant d’emblée parmi les plus puissantes et inspirées vues sur un écran de cinéma depuis des lustres. À l’instar de cette vision issue d’un rêve prêt à tourner au cauchemar, quand le personnage d’Andrew Garfield commence l’ascension du domaine d’un célèbre compositeur de musique, avant de le rencontrer et de s’enfoncer dans une spirale rythmée par de fameux airs joués au piano par un fou furieux au discours terriblement anxiogène et pourtant captivant jusque dans ses moindres détails.

In the mouth of madness

On peut voir Under The Silver Lake comme le film que David Lynch aurait pu faire il y a quelques années, si il ne s’était pas laissé en quelque sorte dévoré par sa volonté d’envoyer valser la moindre parcelle de réalisme de son œuvre pour s’enfoncer dans quelque chose de trop opaque (avant de revenir avec Twin Peaks). Car si il va parfois très loin dans l’absurde, laissant la place à des monstres, insérant ici ou là des plans parfois un peu incompréhensibles et se permettant à plusieurs reprises d’avoir recours aux points de suspension, David Robert Mitchell sait aussi rester suffisamment terre à terre dans sa mise en scène et son écriture, pour ne pas semer le spectateur mais tout en le stimulant tout de même à intervalles réguliers.
Doté d’une superbe photographie, en pleine possession de ses moyens, le réalisateur se montre tout aussi pertinent qu’ambitieux. Et ce pendant 2h20 ! Certes, quelques détails peuvent paraître un peu abscons mais ils participent à l’atmosphère et démontrent quoi qu’il en soit qu’Under The Silver Lake n’hésite jamais à aller au bout de ses idées. Quitte à frustrer par moment. À la fin notamment. Il décortique sa version du mythe de Los Angeles/Hollywood et ne fait pas de compromis. Sans se départir de ce lyrisme venimeux parfaitement administré…

Glou Glou Land

Under The Silver Lake déroule alors sa propre mythologie, piloté par un cinéaste qui se démarque par sa totalement compréhension des codes qu’il exploite et des genres cinématographiques auxquels il se rattache. Quand il utilise tel ou tel morceau de musique, c’est pour mieux mettre en valeur ses idées. En cela, la bande-originale est non seulement excellente, que l’on parle du score ou de la compilation de titres, rock and roll mais pas seulement. David Robert Mitchell qui sait aussi magnifiquement diriger ses comédiens. Andrew Garfield n’a d’ailleurs jamais été aussi bon. Drôle, il excelle dans un registre qui lui sied à merveille et régale son audience bien des fois. Riley Keough, sublime, irradie la moindre parcelle des séquences dont elle est le centre. Les sirènes qui parsèment le tableau confèrent un côté sulfureux et diablement sexy à l’ensemble et les personnages inclassables, à l’image de ce pirate vaguement effrayant ou du compositeur cité plus haut et de ce monstre nu qui la nuit venue, se glisse dans les foyers pour y commettre ses noirs forfaits, finissent de rendre le film tordu et passionnant. Une fresque portée par une réflexion aux nombreuses implications à laquelle on pense longtemps après la projection. Un cauchemar abyssal dans lequel il est bon de s’abandonner…

En Bref…
Difficile à étiqueter, Under The Silver Lake pourrait néanmoins se décrire comme le parfait croisement d’un film comme Kiss Kiss Bang Bang et Blue Velvet ou Lost Highway. Un Los Angeles movie passionnant, parfaitement écrit et réalisé, aux acteurs magnifiques, parcouru d’évocations fascinantes, et rythmé par une musique qui souligne parfois les références pop autant qu’elle participe à leur déconstruction. Un jeu de piste retors sublime, passionnel, intriguant et jubilatoire dont on ne ressort pas indemne.

@ Gilles Rolland

Under The Silver Lake   Crédits photos : Le Pacte

Par Gilles Rolland le 13 août 2018

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