[Critique] EL CAMINO : UN FILM BREAKING BAD
Titre original : El Camino: A Breaking Bad Movie
Rating:Origine : États-Unis
Réalisateur : Vince Gilligan
Distribution : Aaron Paul, Jesse Plemons, Robert Forster, Matt L. Jones, Charles Baker, Scott Shepherd, Scott MacArthur, Tom Bower, Jonathan Banks, Krysten Ritter…
Genre : Drame
Durée : 2h02
Date de sortie : 11 octobre 2019 (Netflix)
Le Pitch :
En cavale, traumatisé par sa longue captivité, Jesse Pinkman doit absolument trouver un moyen de quitter Albuquerque, où il est activement recherché par les forces de l’ordre. Son absence sur les lieux du carnage ayant coûté la vie au gang de dealers pour lequel il fabriquait de la drogue mais aussi à son ancien partenaire Walter « Heisenberg » White ayant fait de lui le suspect idéal.Un homme affaibli mais déterminé, qui croit malgré tout qu’un avenir plus apaisé est toujours possible…
La Critique d’El Camino :
Breaking Bad, la série culte de Vince Gilligan, s’est terminée il y a 6 ans. Entre temps, Gilligan ne s’est pour autant par reposé sur ses lauriers, mettant en chantier l’exceptionnel spin-off Better Call Saul, centré sur le personnage de l’avocat véreux Saul Goodman, entretenant secrètement l’espoir d’un jour raconter l’après Heisenberg pour Jesse Pinkman, que l’on avait laissé au volant de sa voiture, fuyant après le massacre ayant coûté la vie à ses geôliers et à son partenaire Walter White. Et c’est donc dans le plus grand secret, entre deux saisons de Better Call Saul, que Gilligan a tourné pour Netflix, El Camino, cette suite en forme d’épilogue de Breaking Bad. Un film plus ambitieux qu’il n’en a l’air, à l’image de tout ce qui a précédé, réfléchi et d’une certaine façon apaisé…
Always on the run
Breaking Bad a su se montrer exceptionnelle jusqu’au bout. Le final, contrairement à celui des Soprano ou de Game of Thrones, n’ayant pas du tout, bien au contraire, déclenché la colère des fans. Better Call Saul en revanche, probablement de par son caractère moins spectaculaire et son sujet moins « catchy », a davantage divisé. Autant dire qu’El Camino, s’il s’inscrit dans la continuité directe de Breaking Bad, adopte le même genre de rythmique que le spin-off et jamais ne tente de jouer la surenchère pour se montrer digne de l’attente d’une certaine partie du public, surtout adepte des fulgurances violentes de Breaking Bad. Ainsi, sur bien des aspects, de prime abord en tout cas, El Camino peut ressembler à une juxtaposition de deux longs épisodes de Breaking Bad, s’imposant au final pour ce qu’il est, à savoir un brillant et crépusculaire épilogue.
Redemption song
Le spectaculaire, comme souvent chez Vince Gilligan, est ailleurs. Dans les trouvailles stylistiques ayant fait sa marque de fabrique notamment, et dans ces plans faussement contemplatifs d’où naît la tension mais aussi une foule dingue d’émotions. Avec ses paysages désertiques et son personnage en fuite en quête d’une rédemption enfin à portée de main, El Camino se pose également comme un authentique western moderne. Gilligan s’amusant des codes, comme à la fin, quand il regarde en face certaines de ses références les plus évidentes pour les faire siennes, au détour d’une séquence mémorable à plus d’un titre. Pivot de cette aventure, l’acteur Aaron Paul se voit offrir l’occasion de briller une ultime fois dans un rôle dont il maîtrise la moindre inflexion. Fragile mais finalement pas tant que cela, brisé mais désireux de se reconstruire, regardant peut-être pour la première fois avec un minium de sérénité son passé violent, assumant ses actes mais aussi sa volonté de s’en sortir, Jesse Pinkman devient le héros d’un film sombre, mais traversé d’éclairs fugaces mais vivaces de lumière. Sa performance, exceptionnelle, donnant encore plus de sens à la démarche de Vince Gilligan.
Fuite en avant
En grande partie constitué de flash-backs censés explorer un peu plus le personnage de Jesse Pinkman et ainsi rapidement centrer le récit uniquement sur lui, El Camino voit plusieurs personnages clés de Breaking Bad faire des apparitions. Jesse Plemons, qui incarnait Todd, le glaçant tueur faisant partie de la famille de trafiquants rednecks, se taillant ici la part du lion, même si on remarquera aussi l’implication, fugace mais marquée, de Jonathan Banks (Mike) ou du regretté Robert Forster. Des « retours » qu’on imagine peut-être destinés à contenter une partie des fans, mais qui jamais ne s’avèrent inutiles ou opportunistes. Même quand Gilligan se décide d’ailleurs à répondre par l’affirmative à la requête principale des admirateurs du show. C’est aussi dans ces moments-là, quand le réalisateur/scénariste fait coexister au sein de son projet ces mêmes attentes et sa volonté d’aller de l’avant pour offrir un dernier tour de piste à Jesse Pinkman, que se traduit la virtuosité et la précision de son écriture et de sa mise en scène. On savait déjà le bonhomme sacrément talentueux, figurant parmi les virtuoses de son époque, mais son travail sur El Camino force tout de même l’admiration et parvient à surprendre. Deux heures durant, sans jamais ennuyer, Vince Gilligan compose une partition vibrante, émouvante, déchirante et jubilatoire. Non ce n’est pas incompatible. Pas ici en tout cas.
Alors oui, on pouvait douter de l’utilité de la chose et à l’arrivée, El Camino ne cherche absolument pas à s’imposer. On peut choisir de laisser Jesse à son sort, dans cette El Camino (la voiture qui donne son nom au film), lancée à pleine vitesse, et imaginer ce qu’il adviendra de lui. Mais on peut aussi suivre Gilligan jusqu’au bout de la route qu’il a construite pour Pinkman. Cette deuxième option étant vivement recommandée, vous l’aurez compris… Après tout, ce n’est pas tous les jours que nous avons l’habitude voir des œuvres aussi cohérentes vis à vis de leur propre mythologie, pas opportunistes pour un sou et profondément humaines.
En Bref…
El Camino, sans forcer la nostalgie, table bien sûr sur l’atmosphère de Breaking Bad. Une suite en forme de long-métrage, qui ne cherche jamais à s’imposer, mais qui s’avère au final aussi palpitante que mélancolique. Magnifiquement réalisé, finement écrit, superbement interprété par un Aaron Paul impeccable, ce film à l’ambiance presque aussi proche de celle de Better Call Saul que de Breaking Bad, est ainsi une franche réussite. Quelque-part entre le pur drame et le western urbain. Que ce soit au niveau des enjeux qu’au niveau de l’atmosphère. Avec un surplus de poésie nourrissant une émotion tangible…
@ Gilles Rolland