[Critique] TRACKS
Titre original : Tracks
Rating:
Origine : Australie
Réalisateur : John Curran
Distribution : Mia Wasikowska, Adam Driver, Rainer Bock, Rolley Mintuma, Philip Dodd, Robert Coleby, Emma Booth, Jessica Tovey, John Flaus, Melanie Zanetti, Ian Conway…
Genre : Aventure/Biopic/Drame/Adaptation
Date de sortie : 27 avril 2016
Le Pitch :
Années 70, Robyn Davidson se lance dans un périple de 3000 kilomètres à travers l’Australie depuis la bourgade d’Alice Springs jusqu’à l’Océan Indien. Pour ce faire, elle est accompagnée de son chien et de quatre dromadaires. Dans son aventure, elle est suivie par Rick Smolan, photographe américain du National Geographic…
La Critique :
C’est un bien curieux métier que celui de distributeur et les choix posent souvent question. Projeté à la Mostra de Venise en 2013, Tracks sort en France…trois ans plus tard. Pourtant, le film a priori ne manque pas d’arguments : un sujet qui plait de plus en plus et qui permet de faire la part belle aux grands espaces et à l’introspection, un bon retour critique, et en tête d’affiche une actrice à la réputation grandissante. Seulement voilà, si le réalisateur est américain tout comme une grande partie du casting, le film, lui, est australien, ce qui semble moins vendeur pour les distributeurs. Et pour assurer la visibilité jusqu’au bout, le film sort le même jour que le mastodonte Captain America 3, ainsi qu’un biopic attendu et un survival qui jouit d’un bon écho. Pourtant, Tracks est loin de mériter un tel traitement qui rend sa sortie en France confidentielle…
En 1975, l’Australienne Robyn Davidson débarque à Alice Springs, une des plus grandes villes de l’Outback australien. Inspirée par son père qui a traversé le désert du Kalahari, elle a un projet totalement fou : celui de traverser un des déserts les plus hostiles au monde pour rejoindre l’Océan Indien, à pieds ou à dos de chameau. Pendant deux ans, elle va apprendre à apprivoiser l’animal. Elle se lance en 1977 pour une aventure qui durera plusieurs mois. Durant son périple, elle se fera connaitre de la presse locale et étrangère comme la « Camel Lady ». Elle écrira ses mémoires qui deviendront un best-seller.
C’est cette traversée que raconte le film de l’américain John Curran, à qui l’on doit les acclamés Le Voile des Illusions et We Don’t Live Here Anymore. Durant sa peu prolifique filmographie, le cinéaste a su s’entourer d’acteurs prestigieux comme Mark Ruffalo, Naomi Watts, Edward Norton et Robert De Niro. Cette fois-ci, c’est au tour de Mia Wasikowska et Adam Driver de passer devant la caméra de Curran. Le second est un visage connu du cinéma intimiste pour ses petits rôles (Inside Llewyn Davis, Midnight Special) avant d’incarner le côté obscur dans la nouvelle trilogie Star Wars. La première a fait son petit bonhomme de chemin depuis le rôle principal de la version d’Alice de Tim Burton avant de tourner pour Gus Van Sant, Jim Jarmusch ou encore Guillermo del Toro et d’incarner tour à tour des héroïnes de littérature comme Jane Eyre et Emma Bovary. Les esprits chagrins contesteront le choix de cette actrice, comme cela a été le cas pour Reese Witherspoon dans Wild de Jean-Marc Vallée. Pourtant, il est bon de voir des acteurs sortir d’une certaine zone de confort en campant des personnages aux destins aussi extrêmes. Et encore une fois, c’est un choix payant. Le visage fermé, un caractère bien trempé, plus à l’aise avec les animaux qu’avec les humains, le regard impénétrable, la peau lacérée par les griffures de la poussière et les coups de fouet donnés par un soleil écrasant (il faut dire que dans une partie de l’Océanie, la couche d’ozone est si fine que le soleil brûle véritablement), Mia Wasikowska est particulièrement bluffante, et on peut même dire que, comme pour Witherspoon dans le film cité plus haut, l s’agit du meilleur rôle de sa carrière. En face d’elle, le personnage qui partage l’affiche semble être le désert, qui permet au film d’élaborer une conversation entre l’Homme et l’animal, entre l’Homme et la nature dans son ensemble. Un désert hostile, impitoyable, des étendues à perte de vue, où le danger est multiple. Un désert veiné de multiples pistes et chemins. Un désert où on doit faire des choix douloureux pour survivre. Et dans ce désert, Robyn Davidson va à la rencontre des rares habitants, et notamment des aborigènes, casés dans des réserves. Ces rencontres permettent d’établir des dialogues entre les anciens et les descendants de colons. Des dialogues rendus difficiles par la barrière de la langue ainsi que par un passé douloureux.
Tous ces éléments sont magnifiés par la musique mais surtout par la photographie à couper le souffle de Mandy Walker (connue pour son travail sur Australia, Jane Got A Gun,…), une photographie qui rappelle sur certaines scènes l’œuvre du géant Steve McCurry. Il suffit de s’arrêter sur des vues aériennes du désert, la couleur de l’eau du réservoir dans lequel se beigne Mia Wasikowska, ou ces superbes recadrages dans les séquences de la maison abandonnée au début du film. Et je ne parle même pas des séquences de flashbacks dont la poésie quasi-onirique donne des frissons.
Il faut être honnête, Tracks ne tient pas la comparaison face à la perfection absolue Into The Wild (dont on retrouve les thématiques de l’introspection, l’expérience du dénuement), mais il se rapproche de Wild avec pour similitudes, le thème et une volonté de pousser son actrice principale dans ses derniers retranchements, qu’ils soient physiques ou mentaux. Et se rapprocher d’un chef d’œuvre tel que celui de Jean-Marc Vallée, cela donne une idée de la qualité exceptionnelle du film de Curran. On ressort, comme pour les autres exemples, à la fois profondément secoué, admiratif, et ébloui aux larmes. Quand on voit de tels moments de grâce, on repense à cette invention merveilleuse qu’est le cinéma et le nombre incalculable d’émotions fortes que les grands films nous procurent.
@ Nicolas Cambon
Crédits photos : Septième Factory