[Critique] GENIUS
Titre original : Genius
Rating:
Origines : Grande-Bretagne/États-Unis
Réalisateur : Michael Grandage
Distribution : Colin Firth, Jude Law, Nicole Kidman, Laura Linney, Guy Pearce, Dominic West, Elaine Caulfield, Vanessa Kirby…
Genre : Drame/Adaptation
Date de sortie : 27 juillet 2016
Le Pitch :
C’est après avoir écumé toutes les maisons d’édition de New York que Thomas Wolfe se présente au bureau de Maxwell Perkins, le prestigieux éditeur d’Ernest Hemingway et de F. Scott Fitzgerald. Alors qu’il s’attend à être éconduit une nouvelle fois, Wolfe fait face à l’admiration de Perkins, qui accepte de publier son roman. Les séances de travail s’enchaînent, tandis qu’une sincère amitié naît entre les deux hommes, pourtant très différents. Histoire vraie…
La Critique :
Genius n’a rien du blockbuster estival. Certes, la présence au générique d’un quatuor d’acteurs connus et appréciés (Colin Firth, Jude Law, Nicole Kidman et Laura Linney, même si cette dernière reste tout de même plus en marge du star system) lui assure un rayonnement conséquent, mais si on considère qu’on y parle de littérature, et qu’il s’agit plus ou moins d’un drame « historique », il convient de souligner sa sortie comme étant l’une des plus audacieuses de l’été. Car il en fallait des cojones pour sortir un film sur Thomas Wolfe au mois de juillet en face des Tortues Ninja, du Suicide Squad et des magiciens d’Insaisissables 2 !
Surtout qu’en l’occurrence, comme son sujet pouvait le laisser présager, le premier film de Michael Grandage n’a absolument rien d’opportuniste.
À la base de Genius, on retrouve John Logan, le créateur de la série Penny Dreadful et l’un des scénaristes les plus doués et plébiscités d’Hollywood (on lui doit notamment Aviator, Hugo Cabret, Skyfall ou encore Spectre). Un auteur qui a adapté le livre de Scott Berg, traitant de l’amitié de l’éditeur Maxwell Perkins et de l’écrivain Thomas Wolfe (à ne pas confondre avec Tom Wolfe du Bûcher des Vanités) et qui s’inscrit donc dans le New York des années 30, en pleine récession.
Le film est une véritable ode à la littérature de la part d’un homme de lettres. Une sorte de déclaration d’amour au métier d’écrivain, mais aussi aux mots et au pouvoir de ces derniers. Pas forcément familiarisé avec l’œuvre de Wolfe quand il pense dans un premier temps au projet, Logan s’est par la suite bien sûr documenté, en lisant la courte mais foisonnant œuvre de Wolfe, mais a visiblement souhaité avant tout mettre en avant la substance du métier de l’artiste, avant d’aborder la thématique de ses créations. Ce qu’il faut comprendre par là, c’est que le génie de Wolfe n’est pas celui du titre du métrage. Le « genius » en question n’est pas seulement ce jeune chien fou désireux de capturer la moelle substantielle d’une vie qu’il désire sauvage entre les pages de ses bouquins, mais aussi celui de Perkins, le personnage de Colin Firth, un homme de l’ombre chargé d’accompagner les écrivains dans l’édition de leurs romans. Une personnalité aussi méconnue que cruciale sans laquelle Wolfe donc, mais aussi Fitzgerald et Hemingway, n’auraient peut-être pas publié les classiques que son Gatsby le Magnifique et Pour qui sonne le glas.
John Logan a ainsi écrit son scénario en se focalisant sur l’amitié de l’artiste et de son éditeur. Une façon d’à la fois nous conter une histoire d’ambition, souvent contrariée, mais aussi simplement celle de la relation de deux personnalités radicalement opposées qui ont vu chez l’autre des choses qui par la suite, leur ont permis de voir le monde avec un regard pour le moins nouveau.
La dynamique de Genius peut paraître complexe sur le papier ou bien carrément simpliste, mais à l’écran, le résultat convainc dès la superbe introduction, rythmée par les premières lignes de L’Ange Exilé, le premier ouvrage de Wolfe. C’est là que le réalisateur débutant Michael Grandage en profite pour illustrer tout en douceur la rencontre de ses deux protagonistes centraux, en se laissant guider par la prose conjuguée de Wolfe et de Logan, tout en dirigeant avec beaucoup de pertinence Jude Law et Colin Firth. En cela qu’il s’agit d’un premier film, Genius reste peut-être académique mais néanmoins impressionnant. La reconstitution du New York de la fin des années 20 est sobre et tout à fait pertinente. Grandage n’est jamais dans l’esbroufe. Ce qui laisse à Jude Law, l’électron libre du lot, une liberté totale pour donner du corps à la grandiloquence parfois tragique d’un auteur aussi borderline que génial. La dynamique qui anime le duo central donne d’ailleurs une bonne partie de son sel au film. Ne serait-ce que visuellement. Colin Firth, jamais plus à l’aise que dans la retenue s’ouvre petit à petit, avec une économie de moyens dont il est l’un des seuls à maîtriser sans donner l’impression de s’en moquer, et Jude Law, tout en contradiction, charmeur et parfois insupportable (c’est volontaire). Les performances de ces comédiens sont parfaitement en place, en cela qu’elles se répondent en se nourrissant l’une des l’autre sans jamais se faire de l’ombre mutuellement. En face forcément, il reste peu de place pour Nicole Kidman, qui trouve quand même le moyen d’en faire un peu trop, et pour Laura Linney, par contre totalement pertinente dans son approche d’un personnage discret, qu’elle parvient à imposer à la moindre de ses apparitions, mettant en exergue de manière très douce ses aspirations et ses frustrations.
Ode à la liberté et à l’ouverture, Genius souligne le pouvoir de la littérature mais étudie aussi d’une certaine façon les mécanismes de la célébrité et de la pression qui peut s’exercer sur ceux qui se retrouvent sous le feu des projecteurs. Il nous parle aussi des contractions d’un pays où les rêves peuvent parfois se réaliser mais aussi se révéler sous des formes inattendues.
Film classique, Genius reste également très abordable, notamment grâce à sa rythmique soutenue. Il se passe toujours quelque chose. On ne s’ennuie jamais. Et c’est probablement aussi à cela qu’on sait qu’un film est (très) bon : quand il ne force pas le passage et laisse s’exprimer son histoire. Quand il respecte cette dernière et ne cherche pas à brosser le public dans le sens du poil. Peut-être conscients que leur long-métrage n’allait pas attirer les foules de la même façon qu’un mastodonte Marvel, John Logan et Michael Grandage sont parvenus à lui donner une intégrité somme toute rare. Ce qu’ils nous narrent s’avère à bien des égards captivant et l’émotion qu’ils dispensent de manière sous-jacente, de toucher au vif, sans prévenir, avec une poésie à laquelle tous les amoureux des mots (et du cinéma) ne pourront pas rester indifférents…
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Mars Distribution