[Critique] SING STREET
Titre original : Sing Street
Rating:
Origine : Irlande/Grande-Bretagne/États-Unis
Réalisateur : John Carney
Distribution : Ferdia Walsh-Peelo, Lucy Boynton, Jack Reynor, Aidan Gillen, Mark McKenna, Maria Doyle Kennedy, Kelly Thornton, Conor Hamilton, Karl Rice, Percy Chamburuka…
Genre : Comédie/Drame
Date de sortie : 26 octobre 2016
Le Pitch :
1985, Dublin. Les parents de Conor, au bord du divorce, obligent ce dernier à changer de lycée. Ne connaissant personne, le jeune garçon se heurte rapidement à la brute locale et à l’autorité du corps professoral. Son refuge : la musique. Initié par son grand frère, qui lui fait écouter tous les groupes importants du moment, il se décide, après avoir fait la connaissance d’une fille plus âgée, de monter un groupe. Pour l’impressionner, Conor lui propose de tourner dans son premier clip, alors que tout reste à faire. Néanmoins, le garçon va rapidement faire preuve d’un vrai talent, accompagné de ses nouveaux amis, avec lesquels il va rivaliser de créativité…
La Critique de Sing Street :
John Carney s’est révélé aux yeux du public avec le formidable Once. Une épopée musical intimiste aussi pertinente qu’émouvante, qui a inscrit son nom dans la liste de ceux qui étaient en mesure de donner le La. Celle qui réunit ceux qu’on écoute avec attention et dont on guette le moindre projet. New York Melody, qui est sorti quelques années plus tard, a vu Carney l’Irlandais quitter son île pour gagner le Nouveau Monde et sa Grosse Pomme, entouré de Keira Knightley et Mark Ruffalo. Le résultat, là encore, a forcé l’admiration et souligné, même si on le savait déjà, l’incroyable capacité du réalisateur à donner vie à l’écran à des ressentis parfois très personnels relatifs à la musique et à son pouvoir dévastateur. Cela dit, avec Sing Street, Carney fait encore plus fort et nous parle de quelque chose de plus personnel. Pour son retour au pays, le cinéaste a choisi de davantage s’ouvrir et ce n’est donc pas étonnant, sachant cela, que le film soit à ce jour son meilleur…
La musique comme moteur
Au cinéma, la musique est partout, mais finalement, elle est rarement comprise. On l’utilise, on l’exploite mais pas toujours pour de bonnes raisons, sans pour autant faire vraiment attention à ce qu’elle nous raconte en filigrane. Ce n’est au fond pas vraiment gênant. Mais quand on vibre chaque jour au rythme de ces artistes qui ont écrit l’histoire avec leur voix et leurs instruments, bousculant les codes et conventions, il est tout de même très appréciable de tomber de temps à autre sur un film qui saisit ce je-ne-sais-quoi qui, sans outrance. Qui capture l’essence d’un mouvement musical, d’une époque bien précise ou tout simplement d’une poignée de morceaux pour au final en tirer un discours universel. Et c’est précisément ce qu’accomplit Sing Street.
Un garçon seul, qui tente de garder la tête hors de l’eau dans un pays empêtré dans un épisode difficile de son histoire, au sein d’un foyer en pleine implosion. Un adolescent amoureux d’une fille inaccessible, qui va se servir de son amour pour le rock and roll comme d’un puissant moteur pour se dépasser et sortir du cadre. Littéralement. Il monte un groupe, rencontre ainsi des amis valeureux et inspirés et trace sa route. Une phrase se détache de l’une des chansons que le combo compose dans laquelle il est question de prendre le contrôle de sa vie et de la conduire comme on le ferait avec une voiture volée. C’est précisément ce qu’entend faire Conor, le jeune héros du long-métrage, quand, armé de sa guitare et secondé par ses amis, il fait sa musique, pour enfin se démarquer et commencer à exister par et pour lui-même. Le plus beau étant que John Carney orchestre son discours de la plus belle des façons. Avec une justesse absolue qui lui interdit de sombrer dans un excès de mièvrerie. Chez lui, la soif de liberté et d’émancipation de Conor prend une dimension qui ne peut que toucher ceux qui un jour, ont entretenu au plus profond de leur être un désir similaire.
John Carney connaît bien son sujet. Avec Sing Street, il se livre presque à un exercice autobiographique et c’est pour cela qu’il fait un sans-faute. Du début à la fin, son film étonne et galvanise. Sa première partie tout d’abord, est très drôle. Une vraie comédie franche. On rit beaucoup, souvent et de bon cœur, d’autant que la tendresse évidente qui se dégage du parcours du combattant qu’accomplit ce jeune garçon est évidente. Puis vient l’émotion, à mesure que se dessine en arrière-plan un véritable état des lieux, à la limite du pamphlet politique sur l’état de l’Irlande dans les années 80, avec ses conventions d’un autre âge et le caractère cloisonné imposé par l’autorité ici caractérisée par les prêtres du lycée que fréquentent les personnages. La liberté est étouffée. Tuée dans l’œuf à l’image des rêves de Raphine, LA fille que convoite Conor, et qui se retrouve dans toutes ses chansons d’une manière ou d’une autre. Le but étant bien sûr de détruire les murs qui se dressent avec des riffs et des refrains, mais aussi à force d’amitiés solides et d’ambitions démesurées.
Une playlist qui a du goût
Derrière la caméra, John Carney ressuscite véritablement les années 80, sans céder aux gimmicks faciles auxquels ont parfois recours certains de ses contemporains. En gros, on y croit vraiment. L’immersion est totale et bien évidemment renforcée par les tubes qui émaillent une bande-originale qui voit se croiser Joe Jackson, Duran Duran, The Cure ou A-ha. Autrement dit la fine fleur, à laquelle viennent se greffer les compositions du groupe Sing Street, encore une fois parfaites, entraînantes et inventives, à l’instar des morceaux qui portaient Once et New York Melody. Non content d’être un cinéaste à la sensibilité à fleur de peau, capable, avec une économie de moyens qui illustre un talent hors norme, d’exprimer des choses qui échappent à tant d’autres, Carney comprend la musique. Il est un peu comme Cameron Crowe. La musique fait partie de sa démarche. Elle n’est pas juste là pour meubler mais s’impose comme un personnage protéiforme à part entière. Pas étonnant qu’à la fin, quand le générique se termine et qu’il est temps de retourner à sa propre existence, on se prenne à fredonner les morceaux de ces incroyables gamins, dans lesquels il est facile de voir l’ombre de Paul McCartney et John Lennon. Tout spécialement quand Conor et Eamon s’assoient face à face pour créer, à la guitare ou au piano, illuminant de leur art la grisaille ambiante, sans même se douter que ce qu’ils font prend tout à coup une importance cruciale.
Un feel good movie rock and roll
Aidan Gillen est le seul acteur du casting que l’on pourrait qualifier de star. Littlefinger dans Game of Thrones c’est lui. Les autres, à l’exception peut-être du charismatique Jack Reynor, sont inconnus au bataillon ou pas loin. Conor, le protagoniste central, est même interprété par un gamin qui n’avait jamais rien fait avant. Ferdia Walsh-Peelo, c’est son nom, est d’ailleurs la révélation de Sing Street. Non seulement il chante super bien, mais il livre aussi une performance impressionnante de maturité, saisissant la complexité et l’évidence de son personnage, qui grandit sous nos yeux, alors même qu’il se trouve à un carrefour particulièrement difficile à gérer, quelque part entre l’enfance et l’âge adulte, confronté pour la première fois à l’amour et à la nécessité de ne pas faire taire ses désirs. Un constat qui s’applique à tous les autres membres de la distribution, de l’excellent Mark McKenna à Lucy Boynton, émouvante au possible, en passant par Karl Rice et Percy Chamburuka. Des noms qui devraient émerger ces prochaines années, si le monde du cinéma est encore régi par un tant soit peu de logique…
Authentique drame jamais plombant, vraie comédie jubilatoire, Sing Street est un feel good movie comme on en voit peu. Baigné dans une atmosphère qui lui est propre, en lien avec un réalisme qui met encore plus en exergue la fantaisie dont est parsemé le scénario, il nous raconte une histoire dans laquelle il est facile et agréable de se reconnaître. Un récit mené tambour battant, par une équipe soudée, habitée d’un amour pour la pop, le punk, le rock et toutes ces musiques encourageant le dépassement, l’unité et la révolte. Et à l’instar de ces mêmes morceaux, qui même si ils abordent des sujets sensibles, n’oublient pas d’être brutalement efficaces, Sing Street sait faire preuve de panache. Comme quand, alors qu’il vient juste de commencer, il choisit de nous balancer le Stay Clean de Motörhead. Rien que ça… Un film qui commence par la voix de Lemmy ne peut pas être mauvais. Celui-là est juste parfait.
En Bref…
Miracle de cinéma, Sing Street contient tout ce qu’il faut pour retenir l’attention. Il impressionne par la pertinence de ses choix, par sa sensibilité, son absence de cynisme, et par sa façon de mener son histoire jusqu’à son terme, qui devrait d’ailleurs encourager quelques larmes à couler, tant celui-ci s’avère émouvant. Il fait partie de ces œuvres qui galvanisent. Qui inspirent et qui poussent à la réflexion. Les notes sont justes. La mélodie reste en mémoire. C’est pour des films comme celui-là qu’on aime le cinéma.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Mars Films