[Critique] PENTAGON PAPERS
Titre original : The Post
Rating:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Steven Spielberg
Distribution : Meryl Streep, Tom Hanks, Bob Odenkirk, Carrie Coon, Alison Brie, Sarah Paulson, Jesse Plemons, Bradley Whitford, Matthew Rhys, Tracy Letts, Michael Stuhlbarg, Pat Healy…
Genre : Thriller/Drame
Date de sortie : 24 janvier 2018
Le Pitch :
En 1971, aux États-Unis, alors que le gouvernement Nixon est encore empêtré dans le bourbier vietnamien, des documents secrets remettant fortement en cause l’engagement américain dans ce conflit font surface et tombent entre les mains de Ben Bradlee, le rédacteur en chef du Washington Post. Ayant le pouvoir de faire éclater la vérité à propos d’une trentaine d’années de mensonges, soumis à d’énormes pressions de la part de Maison Blanche, Bradlee et Kay Graham, la propriétaire du journal, se retrouvent dans une situation aussi inédite que complexe. Histoire vraie…
La Critique de Pentagon Papers :
Il existe deux Steven Spielberg : celui de E.T., des Dents de la Mer, de La Guerre des Mondes ou d’Indiana Jones et celui de Lincoln, La Liste de Schindler ou encore Le Pont des Espions. En 2018, ce sont les deux qui vont honorer l’année cinéma de leur présence. Et si Ready Player One va logiquement se positionner dans la catégorie d’un cinéma divertissant, plus léger et visuellement généreux, Pentagon Papers, qui le précède de quelques semaines, vient se placer dans la seconde catégorie. Chez le Spielberg connecté avec les préoccupations de son époque, qui raconte l’Amérique par le biais de ces travers et qui dresse un pont entre passé et présent pour mieux recentrer son discours sur des thématiques dont il sait souligner l’universalité…
Quatrième pouvoir
Pentagon Papers traite de ce dossier monumental qui surgit en 1971 et qui mit en faute plusieurs administrations, de Kennedy à Nixon, en passant par Johnson, à propos de la si controversée guerre du Vietnam. Un dossier constitué de multiples preuves quant aux véritables (et scandaleuses) motivations du gouvernement américain concernant ce conflit meurtrier, qui des années durant, coûta des millions de vies à un pays qui peu à peu, s’est rendu compte du caractère vain de la chose. En gros, la Maison Blanche a rapidement été persuadée que les États-Unis ne pourraient pas gagner au Vietnam. Mais plutôt que de perdre la face (entre autres considérations), les présidents successifs ont préféré continuer à envoyer des hommes. C’est précisément de cela dont nous parle ici Spielberg. Des journalistes du Washington Post qui, suite à la mise sous silence du New York Tilmes par un gouvernement qui n’hésitait pas à piétiner le premier amendement, se fit le relais de ces révélations très sensibles.
Bien sûr, Pentagon Papers est un vibrant plaidoyer en faveur de la presse. Sur son rôle et son pouvoir. Sur sa vocation, comme il est dit dans le film, de protéger les gouvernés et non les gouvernants. Chose qui résonne avec une pertinence que Spielberg sait souligner avec la virtuosité qui le caractérise, à l’heure de Trump. À l’instar de Lincoln, pour ne citer qu’un exemple récent, Pentagon Papers parle peut-être d’une histoire qui s’est produite il y a presque 50 ans, mais sait aussi sonner de manière à mettre en exergue des problématiques bel et bien brûlantes. Le tout en venant s’inscrire dans la continuité d’œuvres du genre incontournables comme Les Hommes du Président, auquel il est impossible de ne pas songer, ou encore, pour parler d’un film plus récent, de Spotlight. Spotlight qui fut d’ailleurs écrit par Liz Hannah et Josh Singer, les deux scénaristes de Pentagon Papers. Et l’écriture justement, parlons-en…
Coup de pied dans la fourmilière
À partir d’un postulat qui n’appelait surtout pas d’excès, se suffisant à lui-même mais demandant également une grande prudence, Liz Hannah et Josh Singer parviennent à imposer une verve passionnante de bout en bout. À l’arrivée, Pentagon Papers propose ainsi autant de moments extrêmement tendus, où l’humour discret et les autres pointes plus légères, servent de respirations afin de permettre au récit de continuer à conserver l’excellente tenue qui est la sienne. D’une efficacité redoutable, le script donne la possibilité à Spielberg d’orchestrer de véritables duels verbaux, entre des personnages remarquablement campés (et écrits). Plus l’étau se resserre sur l’équipe du Post, qui doit décider de publier et de risquer de tout perdre ou de jouer la sécurité et plus le long-métrage impose sa maestria sans retenue, jusqu’au dénouement, qui vient quant à lui confirmer l’affiliation de l’ensemble au cinéma optimiste de Capra, renouant avec des valeurs que Spielberg a souvent fait siennes, de concert avec la partition habitée du fidèle John Williams, ici particulièrement en forme.
Pentagon Papers est vraiment un film impressionnant. Une sorte de démonstration de force tranquille, qui met en avant le génie d’un réalisateur à l’écoute de ses acteurs, en qui il a une totale confiance et de tous ses collaborateurs. De John Williams donc, à Janusz Kaminski, son directeur de la photographie, ici une nouvelle fois incroyable. Il met à profit cette hallucinante alchimie qui anime le casting et l’équipe technique pour faire preuve d’un tact et d’une puissance, qui subliment le sujets et ses implications. À la fois palpitant thriller journalistique et politique et drame prégnant, Pentagon Papers est également tout aussi ébouriffant sur un plan strictement visuel tant la mise en scène du cinéaste sait se montrer pertinente à chaque moment, capturant l’essentiel en faisant mine de se mettre en retrait pour laisser respirer le récit, mais démontrant en réalité d’une maestria dingue. Il suffit de voir ces plans incroyables quand Meryl Streep et Tom Hanks débattent autour de questions sensibles relatives à la survie et à la intégrité de leur journal, ou encore quand la caméra parcourt la salle de rédaction, cette fourmilière où la révolte prend forme, avant de se glisser du côté des rotatives pour exploiter le côté technique de la chose afin d’envelopper ce qui prend peu à peu peu la forme d’un authentique et touchant hommage à celles et ceux qui font l’information avec leurs tripes.
Un film d’acteurs
Ce qui impressionne également, c’est la façon dont Spielberg gère ce spectaculaire casting. En première ligne, Meryl Streep retrouve la fougue qui a fait d’elle une légende vivante du cinéma américain, tandis que Tom Hanks endosse avec à nouveau un naturel confondant les habits d’un personnage qu’on croirait taillé sur mesure. Deux acteurs au sommet de leur art qui peuvent compter sur les excellents Bob Odenkirk (le Saul de Breaking Bad et Better Call Saul), Carrie Coon (The Leftovers et Fargo), Jesse Plemons (Fargo, Breaking Bad, Black Mirror), Alison Brie (GLOW) ou encore Sarah Paulson (American Crime Story) et Pat Healy, qui opère quant à lui ici une montée en puissance assez nette. Une escouade de comédiens parfaitement excellents, que Spielberg, comme souligné plus haut, laisse respirer, tout en exploitant leur talent avec une précision et une minutie folles, conférant ainsi à Pentagon Papers une classe à tomber à la renverse qui contribue bien sûr à la puissante attraction qu’il sait exercer dès le premier plan.
Spielberg féministe
Mais ce n’est pas tout. Au-delà du film sur le journalisme, du pamphlet qui fustige une certaine politique américaine, de la critique qui cloue au pilori les puissants et de cette radiographie captivante sur l’Amérique des 70’s, Pentagon Papers est aussi un vibrant film féministe. Ce qui passe forcément par le personnage qu’interprète avec tact et génie Meryl Streep. Cette femme qui s’est retrouvée par la force des choses à la tête d’un journal et que tout le monde (comprendre, les hommes) considère comme une marionnette. Tout le monde sauf Ben Bradlee (Tom Hanks), qui est finalement l’un des seuls à la considérer pour ce qu’elle est, à savoir la patronne. Tout du long, après avoir rappelé qu’à l’époque, les femmes étaient souvent écartées des prises de décision importantes, Spielberg orchestre la montée en puissance de Kay Graham pour en faire une figure majeure du journalisme. Pas une rédactrice mais une patronne qui respecte le travail des siens et qui sait que chaque audace peut paradoxalement mener le journal à sa perte ou au contraire, le voir progresser dans le bon sens. Alors que les personnages incarnés par Alison Brie notamment, illustrent justement la place que la société réservait alors aux femmes, Meryl Streep elle, occupe une place centrale qui se fait le réceptacle d’un discours féministe à la force évocatrice décuplée. Idem pour Carrie Coon, qui depuis la salle de rédaction, participe à l’effort collectif. Là encore dans la mesure, Spielberg et ses scénariste savent trouver le bon angle d’attaque pour traiter de ce thème, sans sonner comme des donneurs de leçon et prendre de haut qui que ce soit. Ce qui manque parfois cruellement au cinéma contemporain qui, malgré des velléités nobles, se montre souvent incapable de mettre en forme sa contestation pour au final rater sa cible et prêter le flan aux critiques. Pas Pentagon Papers. Non, ici, Spielberg réussit tout ce qu’il entreprend. Il assume tout, y compris le choix d’avoir focalisé son film sur le Washington Post et non sur le New York Times. Ce qui lui est grandement reproché. Car au fond, c’est le Times qui aborda le scandale en premier, le Post se « contentant » de reprendre la main après la mise sur la touche du Times par la Maison Blanche. Mais Spielberg, on le sait, aime les outsiders. Titre phare de la presse, le Times faisait alors autorité, contrairement au Post, qui se débattait dans des problèmes de trésorerie et qui était en recherche d’une nouvelle crédibilité, d’un nouveau souffle. Et puis il y a aussi Kay Graham et Ben Bradlee, de parfaits héros « spielbergien ». Le réalisateur rend par ailleurs aussi justice au Times et il serait donc injuste de le fustiger pour avoir préféré raconter l’histoire du Post, qui lui ouvrait plus de perspectives. Plus de possibilités pour emballer un grand film américain. Un classique instantané qui trouve immédiatement sa place au Panthéon du genre…
En Bref…
Pentagon Papers s’inscrit dans la grande tradition d’un cinéma américain connecté avec l’histoire de son pays et les préoccupations de son époque. Un film qui brille par son intelligence, par la virtuosité discrète de son incroyable mise en scène et par le talent de ses acteurs, Meryl Streep et Tom Hanks en tête. Et si il s’impose sans mal comme l’un des meilleurs films de son réalisateur, ce qui n’est pas peu dire vu la filmographie de Spielberg, c’est qu’il sait allier le fond et la forme tout en abordant de multiples thématiques au sein d’un tout remarquable de cohérence mais aussi passionnant du début à la fin. Sans oublier l’émotion, qui fait toute la différence…
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Universal Pictures International France
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