[Critique série] LE JEU DE LA DAME

SÉRIES | 10 novembre 2020 | Aucun commentaire
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Titre original : The Queen’s Gambit

Rating: ★★★★★

Origine : États-Unis

Créateurs : Scott Frank, Allan Scott

Réalisateur : Scott Frank

Distribution : Anya Taylor-Joy, Bill Camp, Moses Ingram, Chloe Pirrie, Marielle Heller, Harry Melling, Thomas Brodie-Sangster, Jacob Fortune-Lloyd…

Genre : Drame/Adaptation

Nombre d’épisodes : 7

Diffusion en France : Netflix

Le Pitch :

Beth Harmon, une petite fille de 9 ans, découvre les échecs presque par hasard dans l’orphelinat dans lequel elle est placée après la mort de sa mère. Le jeu devenant dès lors une obsession qu’elle cultive dès qu’elle le peut. En grandissant, la jeune prodige cumule alors les titres et affronte les plus grands maîtres de la discipline. Une ascension vers le succès que Beth doit effectuer en luttant contre de puissantes addictions à l’alcool et aux drogues…

La Critique de la mini-série Le Jeu de la Dame :

Le parcours de Scott Frank, le showrunner, scénariste et réalisateur de la mini-série Le Jeu de la Dame (comme souvent, le titre original est préférable : The Queen’s Gambit), est assez atypique. Remarqué dans un premier temps grâce à son travail d’écriture sur Marley et moi, Minority Report, Hors d’atteinte ou Get Shorty, il est passé à la réalisation en 2014 avec le Liam Neeson movie Balade entre les tombes puis a véritablement mis tout le monde d’accord avec son western en plusieurs épisodes Godless, sur Netflix. Une fresque habitée d’un puissant souffle féministe que l’on retrouve dans sa nouvelle création, soit l’adaptation du roman Le Jeu de la Dame de Walter Tevis…

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Face à Face

Ce n’est pas la première fois qu’une œuvre de fiction traite des échecs. On pense bien sûr à Face à Face avec Christophe Lambert, mais aussi au plus récent Le Prodige, avec Tobey Maguire. Un jeu qui permet de multiples métaphores afin d’illustrer des thématiques relatives soit à la prise de pouvoir et donc à la domination sur un adversaire qui peut symboliser bien des choses, soit à la maîtrise de soi dans un monde où il peut être bien difficile de survivre sans se faire mettre en échec par ses adversaires ou simplement par la vie elle-même. Un jeu que Scott Frank, conformément aux écrits de Walter Tevis, exploite d’une manière on ne peut plus pertinente, pour raconter le parcours de Beth Harmon, cette jeune orpheline ayant trouvé sur l’échiquier à la fois une raison d’avancer mais aussi un formidable tremplin pour se révéler au monde et à elle-même.

Coup de maître

Pour autant, les échecs possèdent aussi quelque chose de résolument austère. Le défi étant, quand on entend raconter une histoire qui tourne presque exclusivement autour de cet assemblage de pions, reines, rois, fous et autres cavaliers, de ne pas aliéner les néophytes tout en rendant justice à des règles que les amateurs ne manqueront pas de surveiller de près. Là est l’un des coups de maîtres du Jeu de la Dame : arriver à rendre les échecs palpitants. On s’en aperçoit par ailleurs dès la première partie que la jeune Beth joue contre le concierge taciturne de l’orphelinat dans lequel elle a échoué. La tension est palpable. S’il ne s’agit à première vue que d’une innocente partie entre un vieux briscard revenu de tout et une gamine renfermée, Scott Frank parvient à nous communiquer l’importance d’enjeux bien plus grands. À mesure que le jeu se révèle à elle, Beth voit un échappatoire se dessiner et quand vient le moment de s’abandonner au sommeil, entre les murs de cette école où elle a perdu tous ses repères, les échecs l’aident à garder le cap. Ils lui offrent un objectif à atteindre : en apprendre encore plus pour gagner. Scott Frank nous expliquant, à grand renfort d’effets incroyablement éloquents et visuellement stimulants (les pions qui se matérialisent soir après soir au niveau du plafond du dortoir de l’orphelinat) en quoi les stratégies et autres techniques d’attaques sur le damier s’avèrent si décisives pour cette enfant perdue dans un monde qu’elle ne comprend pas tout à fait mais qu’elle compte bien posséder. Une surdouée dont l’itinéraire, pavé d’obstacles mais prompt à une gloire à double-tranchant, nous est ici raconté avec une éloquence rare, beaucoup d’élégance et de délicatesse mais aussi assurément avec force.

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Échec et mat

Nul besoin de maîtriser les règles du jeu pour se passionner pour le parcours de Beth Harmon. La narration, fluide et rythmée, ainsi que la mise en scène, à la fois inventive mais aussi joliment académique (dans le bon sens du terme), se chargeant de nous prendre par la main pour ne plus relâcher son étreinte jusqu’à cet ultime plan, magnifique, à la fin du septième et dernier épisode. Une série qui bénéficie de la présence magnétique d’Anya Taylor-Joy. Quasiment de tous les plans, dès le deuxième épisode (le premier étant consacré à l’enfance du personnage), l’actrice américaine découverte dans le crépusculaire et perturbant The Witch, trouve le rôle de sa vie. Son jeu, viscéral, sensitif et intuitif s’avérant aussi puissant que troublant. Mais il faut dire que Beth Harmon se joue aussi des pronostics. Non il ne s’agit pas du genre de prodige en rupture totale avec son environnement, uniquement centralisé sur son obsession, soit ici les échecs. Beth Harmon étant en cela beaucoup plus complexe, évoluant au-delà des schémas préconçus, inhérents aux histoires de ce genre. Après une enfance difficile, Beth sait s’épanouir, exploitant la puissance qu’elle tire de ses victoires aux échecs et du plaisir qu’elle prend à jouer, pour s’ouvrir au monde. Même si les addictions qu’elle se trimballe, à ces étranges pilules vertes fournies par l’orphelinat tout d’abord, puis à l’alcool, l’empêchent de véritablement s’envoler. Un personnage qui confère au récit une classe folle mais aussi un aspect résolument rock and roll. Le fait que la mini-série se déroule en grande partie au cœur des années 60, dans une Amérique en pleine révolution culturelle, n’est pas étranger à ce constat. Le Jeu de la Dame, à travers Beth Harmon donc mais aussi d’autres personnages dont Jolenne et Benny Watts, un autre prodige des échecs campé avec beaucoup de justesse et de malice par Thomas Brodie-Sangster (Love Actually, Game Of Thrones), sait aussi se poser comme la radiographie d’une jeunesse mue par un désir d’émancipation, entre combat pour le droit des femmes, soif d’aventure et volonté de définitivement s’extirper des anciens schémas.

Renaissance

Le Jeu de la Dame n’est pas que la simple histoire d’une championne d’échecs. Non, il s’agit du récit de l’éveil à la vie d’une jeune femme miraculée. Une enfant n’ayant jamais trouvé sa place qui s’affirme via un talent hors-norme, quasi-surnaturel, qu’elle entend cultiver envers et contre sa condition, luttant contre des démons coriaces qui dans un premier temps, tentent de se faire passer pour des alliés (Beth affirmant à un moment que l’alcool et les drogues l’aident à se concentrer). Il s’agit bien sûr aussi d’un formidable hymne féministe. Beth se battant presque uniquement contre des hommes puissants, finissant par se hisser à la tête d’une véritable hiérarchie où les préjugés nombreux, ne tombent qu’au terme d’un accumulation insolente de victoires. Une championne au tempérament de feu qu’Anya Taylor-Joy incarne avec passion, communiquant principalement ses émotions, ses espérances, ses peurs et ses luttes à travers ses grands yeux dans lesquels subsiste une part de fragilité qu’elle ne laisse que rarement s’exprimer.

Véritable bijou d’émotion, Le Jeu de la Dame sait entretenir le suspense autant qu’elle sait ménager ses effets. Le dernier épisode étant en cela terrassant. Non seulement car il conclut avec brio une histoire aussi belle que touchante, aussi galvanisante que lourde de sens, mais également car l’émotion qui s’en dégage s’avère plus qu’à son tour dévastatrice. Assister à l’ascension de cette femme à la chevelure du feu et au regard déterminé, au fil de ses parties, soumises à bien des épreuves, réservant son lot de grands moments.

En Bref…

Le Jeu de la Dame n’est ni plus ni moins qu’un chef-d’œuvre. Une mini-série pleine de souffle, classieuse et raffinée, rock and roll aussi parfois et à n’en pas douter galvanisante. Une fresque sublime jusque dans ses moindres détails, portée par le jeu tout en nuance de la magnifique Anya Taylor-Joy. Pas de doute : cette année, que ce soit à la TV ou au cinéma, pas sûr qu’on voit mieux.

@ Gilles Rolland

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Crédits photos : Netflix
Par Gilles Rolland le 10 novembre 2020

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